mercredi 3 mars 2021

Le Film français

Hier j'ai regardé un film français. Une comédie de mœurs - le genre... euh, français justement, avec le scénario standard, héritier de la comédie de boulevard, dans laquelle les choses se passent toujours de la même façon.

Un événement (mariage, vacances, anniversaire, etc.) rassemble famille ou/et amis dans la propriété familiale - le genre "demeure de caractère", "logis de France", un château, une ancienne ferme ou abbaye reconvertie, une villa luxueuse, etc. Normal, car les "héros" appartiennent tous à la classe bourgeoise et exercent des professions libérales ou à la mode. Il y a l'inévitable médecin (enfin, le chirurgien, devrais-je dire, le grand professeur parisien, pas le généraliste de province bas de gamme) et le, tout aussi inévitable, publicitaire (parisien également). Le reste des intervenants est un panel représentatif de l'idée qu'on se fait de la réussite sociale au moment où le film est tourné : avocats, éditeurs, écrivains à succès, industriels, politiciens… tous parisiens, cela va sans dire...

La première demi-heure est consacrée à la présentation des personnages et de leurs relations compliquées. Les hommes ont la trentaine ou la quarantaine et des maîtresses qu'ils traitent plus bas que terre (et qui pour sortir avec des abrutis pareils le méritent bien). Ils sont suffisants, cyniques, très fiers de leur revers et de leur swing, et méprisent leurs épouses (qui pour n'avoir pas encore plaqué des abrutis pareils le méritent également). Les femmes, comme on l'avait compris, sont des potiches et des connes. Elles se déclinent en trois versions : pimbêche, psychorigide frustrée et pute. Il y a toujours quelques enfants, car ces gens-la n'oublient jamais de se reproduire à un ou deux exemplaires au maximum, car plus cela fait vulgaire, ou pis, catho. Comme la comédie de mœurs respecte les règles de la génétique, les mômes sont des reproductions en miniature de leurs parents et possèdent déjà toutes les caractéristiques de la future élite parisienne. Ils sont si tête-à-claques et prétentieux que la main nous démange a chaque fois qu'ils apparaissent sur l'écran.

Pour contrebalancer tout ce beau monde, arrive l'élément qui détone et va, évidemment, foutre la merde dans ce paradis doré. C'est un prolo, sorte de blaireau mal dégrossi qui pue la bière et n'a jamais tenu un club de golf de sa vie – c'est dire la brute épaisse ! Ses propos à l'emporte-pièce et ses idées d'un autre temps sont une source inépuisable de gaieté pour la gent raffinée qui l'emploie (souvenons-nous que nous sommes dans un manoir du XVIIe siècle et qu'il faut du personnel local pour l'entretenir). Quand ce n'est pas un bouseux ou un travailleur manuel, l'élément qui détonne est un marginal (provincial, immigré, homosexuel, poule de luxe...) invité par le raté de la famille, qui, lui, est soit homosexuel, soit gros, soit sensible et modeste, soit tout cela à la fois, et qui, non content d'imposer sa nullité crasse qui fait tache dans un groupe aussi choisi, semble prendre un malin plaisir à casser l'ambiance parfaite que toute cette réussite auto-satisfaite génère.

Le personnage infréquentable sert, bien évidemment, de faire-valoir aux autres, qui peuvent ainsi l'écraser de leur mépris et se sentir supérieurs à peu de frais. L'infréquentable apporte aussi une touche pittoresque et ludique (l'accent, les fautes de langage, la perruque orange, la jupe ras la moule, la touche de folie...) bienvenue, car le monde de ces parvenus occupés à faire la roue est tout de même extrêmement conformiste dans son genre et donc horriblement ennuyeux.

Souvent c'est un travelo qui a les faveurs de la production parce qu'il cumule à la fois les avantages de l'homosexuel, de la poule de luxe, du provincial, de l'accent et du ridicule, et qu'en plus on peut lui faire faire un numéro de cabaret genre "Chez Michou" plutôt sympa, et, ainsi, sans trop de contorsions intellectuelles, donner au film un vague vernis show-biz ou avant-garde suivant le style de la prestation. Par ailleurs, la création de ce genre de personnage fait toujours plaisir au scénariste, à la costumière et à l'acteur chargé d'incarner ce mouton à cinq pattes qui s'épanouit tellement sous le microclimat du film français de mœurs qu'on se dit que ce doit être là son habitat naturel.

Enfin, l'infréquentable sert de détonateur à ce qui est le climax de toute comédie française qui se respecte : le déballage des histoires de fesses. Et là, si on n'avait jamais vu de comédie française auparavant, on est réellement surpris de découvrir que tout le monde avait couché avec tout le monde et que personne ne s'en était aperçu. De réaliser à quel point ils sont cyniques, immoraux et stupides, cela leur fait quand même un choc à nos parvenus, et ça les fait entrer dans la première crise existentielle de leur vie. Enfin, ce qui les choque c'est surtout de voir qu'il existe encore plus cynique et plus immoral qu'eux et qu'ils ne sont pas les champions de la catégorie. N'être pas les meilleurs, ça, c'est dur, et ça les fait cogiter sévère.

Comme on savait déjà que ce n'était qu'une bande de crétins et que tout le monde avait couché avec tout le monde, nous, spectateurs, n'avons pas le même effet de surprise… par contre, on cogite ferme aussi. On se demande comment on a pu rester aussi longtemps devant ce navet sans changer de chaîne... Et chacun trouve sa réponse. Moi c'est parce que j'étais en train de faire autre chose en même temps et que j'étais trop occupée pour aller chercher la télécommande… Mais quand même, on n'est pas fier de soi. Heureusement qu'il y a le numéro de cabaret du travelo et la philosophie campagnarde et avinée du rustaud du coin pour nous remonter un peu le moral…