jeudi 31 décembre 2015

Le Côté Greffulhe


C'est de ce côté-là que mes dernières lectures m'ont conduite :

- La Mode retrouvée – Les Robes trésors de la Comtesse Greffulhe, le catalogue de l'exposition qui se tient en ce moment au Palais Galliera (7 novembre 2015 au 20 mars 2016) et qui traversera ensuite l'Atlantique pour être présentée au musée du Fashion Institute of Technology de New York (septembre 2016- janvier 2017).
- La Comtesse Greffulhe – L'Ombre des Guermantes, Laure Hillerin, Flammarion, 2015.



En voyant un reportage sur l'exposition du musée Galliera consacrée aux tenues fabuleuses de la Comtesse Greffulhe, cette femme qui à la Belle Époque bluffait le tout Paris et plane en divinité tutélaire sur l'œuvre de Proust, j'ai véritablement compris la fascination qu'elle avait pu exercer sur ses contemporains. Belle et suprêmement élégante, elle s'était forgé un style, un personnage, un rôle qu'elle jouait à la perfection en société. Elle avait même élaboré une théorie du prestige.

Il faut lire la biographie pour se rendre compte qu'Elizabeth de Caraman-Chimay, Comtesse Greffulhe, était bien différente du personnage futile, superficiel et distant que l'on imagine en lisant Proust et en voyant ses robes et ses portraits. Née au sein d'une famille aristocratique ancienne et prestigieuse, mais sans fortune, où l'on cultivait l'amour de la musique et des arts, Elizabeth avait reçu en plus de la beauté, l'intelligence et un esprit curieux de tout. Les quelques textes cités révèlent une femme brillante et lucide.

Son mariage, à 18 ans, avec Henry Greffulhe fit d'elle une femme riche (*), mais malheureuse et dépressive. Menteur, manipulateur, jaloux, coléreux, brutal, Greffulhe était ce qu'on appelle aujourd'hui un pervers narcissique qui passa sa vie à humilier son épouse et à la maltraiter tant au moral qu'au physique.

Le prodige, au final, ce ne sont pas ses vêtements, aussi fabuleux qu'ils aient été, mais que la Comtesse soit parvenue à survivre, tête haute, à l'opération de destruction massive entreprise par son mari. Plus qu'une marque de narcissisme ou de superficialité, ses tenues fantastiques furent probablement un moyen de survie, une manière d'exister, de résister, pour ne pas sombrer.
Plus Greffulhe essayait de l'entraîner vers le bas, plus elle s'efforçait de s'échapper par le haut, par la beauté, les arts et la musique. Pour paraphraser Proust, là où son mariage l'emmurait, son intelligence a percé une issue.

Son mari ne lui donnant rien pour financer ses œuvres, elle usa de son prestige pour mobiliser des sponsors et monter des concerts qui étaient à la fois une manière de promouvoir l'art et les artistes et de rassembler des fonds pour des œuvres caritatives (nos contemporains n'ont rien inventé). Elle a fait jouer Rameau à une époque où ses œuvres étaient oubliées, elle a remué ciel et terre pour monter Les Troyens de Berlioz, soutenu Wagner et les Ballets Russes, trouvé des fonds pour les recherches de Pierre et Marie Curie, pour Branly, et bien d'autres encore. Elle militait pour que les femmes aient les mêmes droits civiques que les hommes, pour qu'elles soient libres de leurs choix et de leur destin et ne subissent plus la "tyrannie" du mariage. Elle était en faveur du divorce et de l'avortement.
C'était plus qu'une belle silhouette, mais, à son époque, les qualités des femmes de cette trempe n'étaient pas reconnues.

Ces lectures m'ont donné envie de faire plus ample connaissance avec elle, et je me prends à rêver qu'un jour l'on publie sa correspondance et ses journaux intimes.


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(*) - Riche, du moins en apparence, car elle ne possédait rien d'autre que ses vêtements et son mari fit en sorte qu'elle ne puisse jamais rien posséder.