lundi 11 janvier 2016

Lazarus

Samedi, je suis allée, comme tous les jours, rendre visite à ma mère qui est à l'hôpital et lutte contre un cancer. J'étais près d'elle et je vérifiais le fonctionnement de mon nouveau smartphone. Dans les médias tout le monde ne parlait que du nouvel album de Bowie. Pour la distraire, et la changer un peu d'ambiance, je lui ai dit "tiens, on va regarder ensemble le clip de Bowie !" et je lui mets Lazarus.
Ce n'était pas une bonne idée, mais je ne pouvais pas m'en douter. Lui infliger la vue de ce type en souffrance, hurlant et se débattant contre la mort sur son lit d'hôpital, c'était comme lui tendre un miroir pour contempler sa propre expérience, car s'il est une chose que ce clip fait bien, c'est montrer la violence de la maladie et l'angoisse de la mort. Pour effacer cette impression, j'ai mis une autre vidéo, mais le moribond y était encore, alors j'ai arrêté...
J'ai pensé à un album concept du type Outside que j'avais adoré, mais il m'a semblé qu'un nouveau degré avait été franchi dans le morbide. C'était trop désespéré et si réaliste que cela m'a effrayée... Je me suis demandé où en était le type qui produisait ce genre de clips...

Pour cette raison, l'annonce de sa mort ne m'a pas surprise. Il l'avait en quelque sorte déjà faite lui-même et mise en scène. Artiste jusqu'à son dernier souffle, et magistral jusqu'au bout, preuve que l'on peut réussir son départ de rock star sans faire une overdose à 27 ans.

En ce moment, tout mon univers s'écroule, par grands pans et à grand fracas. C'est sans doute cela que l'on appelle vieillir. Il me semble que la vieillesse se définit davantage par ce que l'on perd en cours de route que par ce que l'on devient soi-même.

Le Temps où tout était...


Plus j'avance en âge et plus je comprends pourquoi Proust a écrit A la Recherche du temps perdu.
De plus en plus d'occasions nous donnent envie de rembobiner la bande et de se repasser le film du temps où dans notre vie tout était... - je cherche le ou les adjectifs et finalement je n'en trouve pas.

Le temps où, dans notre vie, tout était.

 

samedi 2 janvier 2016

Vivre selon son voeu


"Vivre selon son vœu et mourir de son rêve,
formule véridique du terrestre bonheur."

Jolie formule, tirée de la pièce Sémiramis du Sâr Péladan.
Sémiramis est une grandes héroïne tragique comme les aimaient les symbolistes. Vierge mâle et conquérante, adulée par ses armées, qui, à l'orée de la vieillesse, abdique de sa gloire et de son pouvoir pour l'amour d'un jeune prisonnier égyptien.


Le texte est truffé de tirades pleines de panache. J'ai particulièrement aimé celle-ci, que je trouve grandiose dans la bouche d'une héroïne :
"Je suis du sexe des héros, des demi-dieux, des fondateurs d'empire,
je suis du sexe de l'épée !
Là, où naissent les rois, mon génie m'a monté.
Je ne dois rien au sort ; ma gloire je l'ai faite !
Mon sexe, c'est ma volonté."


La fin est plus classique puisque la guerrière renonce à l'épée, au pouvoir, à la gloire, trahit ses peuples et se trahit elle-même.
Jolie déclaration aussi que celle où elle revient sur les valeurs qu'elle défendait et représentait avant de connaître l'amour :
"C'est une vanité de vivre dans l'éclat
d'incarner les passions misérables d'un peuple,
et d'épuiser sa vie pour des couronnes de métal :
l'homme sage porte son univers en lui,
amant ou visionnaire; et ne s'inquiète
pas du sentiment d'autrui, car il s'est reconquis d'abord
sur la tyrannie des idées usuelles. Keth-Aour,
ta pure haleine, en passant sur ma chair, l'avive
comme s'éveille la terre froide au souffle de Tammuz."


C'est très beau, parcouru d'un grand souffle épique. On a tort d'avoir oublié Péladan, dont il faudrait redécouvrir les œuvres, notamment pour sa quête idéaliste et mystique. Cela nous ferait beaucoup de bien; l'idéalisme et l'aspiration au grand et au beau, c'est ce qui manque à notre civilisation vaincue par son matérialisme outrancier et étouffée par son cynisme jouisseur.


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Photographie : détail d'une représentation de Sémiramis donnée aux arènes de Nîmes en 1904. Dans le rôle titre, Madame Segond-Weber de la Comédie Française.