Hier j'ai regardé un film français. Une comédie de mœurs - le genre...
euh, français justement, avec le scénario standard, héritier de la
comédie de boulevard, dans laquelle les choses se passent toujours de la
même façon.
Un événement (mariage, vacances, anniversaire, etc.) rassemble famille
ou/et amis dans la propriété familiale - le genre "demeure de
caractère", "logis de France", un château, une ancienne ferme ou abbaye
reconvertie, une villa luxueuse, etc. Normal, car les "héros"
appartiennent tous à la classe bourgeoise et exercent des professions
libérales ou à la mode. Il y a l'inévitable médecin (enfin, le
chirurgien, devrais-je dire, le grand professeur parisien, pas le
généraliste de province bas de gamme) et le, tout aussi inévitable,
publicitaire (parisien également). Le reste des intervenants est un
panel représentatif de l'idée qu'on se fait de la réussite sociale au
moment où le film est tourné : avocats, éditeurs, écrivains à succès,
industriels, politiciens… tous parisiens, cela va sans dire...
La première demi-heure est consacrée à la présentation des personnages
et de leurs relations compliquées. Les hommes ont la trentaine ou la
quarantaine et des maîtresses qu'ils traitent plus bas que terre (et qui
pour sortir avec des abrutis pareils le méritent bien). Ils sont
suffisants, cyniques, très fiers de leur revers et de leur swing, et
méprisent leurs épouses (qui pour n'avoir pas encore plaqué des abrutis
pareils le méritent également). Les femmes, comme on l'avait compris,
sont des potiches et des connes. Elles se déclinent en trois versions :
pimbêche, psychorigide frustrée et pute. Il y a toujours quelques
enfants, car ces gens-la n'oublient jamais de se reproduire à un ou deux
exemplaires au maximum, car plus cela fait vulgaire, ou pis, catho.
Comme la comédie de mœurs respecte les règles de la génétique, les mômes
sont des reproductions en miniature de leurs parents et possèdent déjà
toutes les caractéristiques de la future élite parisienne. Ils sont si
tête-à-claques et prétentieux que la main nous démange a chaque fois
qu'ils apparaissent sur l'écran.
Pour contrebalancer tout ce beau monde, arrive l'élément qui détone et
va, évidemment, foutre la merde dans ce paradis doré. C'est un prolo,
sorte de blaireau mal dégrossi qui pue la bière et n'a jamais tenu un
club de golf de sa vie – c'est dire la brute épaisse ! Ses propos à
l'emporte-pièce et ses idées d'un autre temps sont une source
inépuisable de gaieté pour la gent raffinée qui l'emploie
(souvenons-nous que nous sommes dans un manoir du XVIIe siècle et qu'il
faut du personnel local pour l'entretenir). Quand ce n'est pas un
bouseux ou un travailleur manuel, l'élément qui détonne est un marginal
(provincial, immigré, homosexuel, poule de luxe...) invité par le raté
de la famille, qui, lui, est soit homosexuel, soit gros, soit sensible
et modeste, soit tout cela à la fois, et qui, non content d'imposer sa
nullité crasse qui fait tache dans un groupe aussi choisi, semble
prendre un malin plaisir à casser l'ambiance parfaite que toute cette
réussite auto-satisfaite génère.
Le personnage infréquentable sert, bien évidemment, de faire-valoir aux
autres, qui peuvent ainsi l'écraser de leur mépris et se sentir
supérieurs à peu de frais. L'infréquentable apporte aussi une touche
pittoresque et ludique (l'accent, les fautes de langage, la perruque
orange, la jupe ras la moule, la touche de folie...) bienvenue, car le
monde de ces parvenus occupés à faire la roue est tout de même
extrêmement conformiste dans son genre et donc horriblement ennuyeux.
Souvent c'est un travelo qui a les faveurs de la production parce qu'il
cumule à la fois les avantages de l'homosexuel, de la poule de luxe, du
provincial, de l'accent et du ridicule, et qu'en plus on peut lui faire
faire un numéro de cabaret genre "Chez Michou" plutôt sympa, et, ainsi,
sans trop de contorsions intellectuelles, donner au film un vague vernis
show-biz ou avant-garde suivant le style de la prestation. Par
ailleurs, la création de ce genre de personnage fait toujours plaisir au
scénariste, à la costumière et à l'acteur chargé d'incarner ce mouton à
cinq pattes qui s'épanouit tellement sous le microclimat du film
français de mœurs qu'on se dit que ce doit être là son habitat naturel.
Enfin, l'infréquentable sert de détonateur à ce qui est le climax de
toute comédie française qui se respecte : le déballage des histoires de
fesses. Et là, si on n'avait jamais vu de comédie française auparavant,
on est réellement surpris de découvrir que tout le monde avait couché
avec tout le monde et que personne ne s'en était aperçu. De réaliser à
quel point ils sont cyniques, immoraux et stupides, cela leur fait quand
même un choc à nos parvenus, et ça les fait entrer dans la première
crise existentielle de leur vie. Enfin, ce qui les choque c'est surtout
de voir qu'il existe encore plus cynique et plus immoral qu'eux et
qu'ils ne sont pas les champions de la catégorie. N'être pas les
meilleurs, ça, c'est dur, et ça les fait cogiter sévère.
Comme on savait déjà que ce n'était qu'une bande de crétins et que tout
le monde avait couché avec tout le monde, nous, spectateurs, n'avons pas
le même effet de surprise… par contre, on cogite ferme aussi. On se
demande comment on a pu rester aussi longtemps devant ce navet sans
changer de chaîne... Et chacun trouve sa réponse. Moi c'est parce que
j'étais en train de faire autre chose en même temps et que j'étais trop
occupée pour aller chercher la télécommande… Mais quand même, on n'est
pas fier de soi. Heureusement qu'il y a le numéro de cabaret du travelo
et la philosophie campagnarde et avinée du rustaud du coin pour nous
remonter un peu le moral…
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