mardi 13 avril 2021

La Centauresse de Diomède

Facture art déco et inspiration symboliste, l'œuvre est superbe.
 
Il s'agit d'une gravure réalisée par Henry Chapront pour le frontispice de l'édition de 1921 du roman de Rémy de Gourmont, Les Chevaux de Diomède (éditions La Connaissance).
On y note l'influence cubiste et surtout ces roses, motif typique et récurrent des années 20. Leur floraison foisonnante envahit alors tous les domaines des arts décoratifs (menaçant d'en étouffer quelques-uns).
Quant au roman de Gourmont, il figure parmi les nouveaux ajouts du site gutenberg.org où je vous invite à vous rendre si l'ouvrage vous intéresse.
Gourmont n'avait pas l'esprit dans sa poche et le livre est truffé de remarque pertinentes, et surtout impertinentes, sur nombre de sujets, comme par exemple, l'immense pouvoir de la littérature :
 
…par des lectures choisies avec soin,
lentes et méditées, on peut recréer son existence
avec une facilité presque mauvaise.
 
Ou cette tirade qui, au temps des émoticones, prend des allures prophétiques :
Dans quelques siècles, tout le monde pensera sur ce point comme pense l'homme moyen d'aujourd'hui. Il n'y aura plus aucune littérature, ni de prose ni de vers, et la pensée s'exprimera selon une formule nette, sèche, purement algébrique. Comme il n'y aura plus d'idées générales, toute notion de l'extra-sensible étant abolie ou considérée comme l'un des symptômes de la folie, il est très possible qu'on délaisse, comme trop lent, notre système d'écriture. A des hommes parqués par la science et par le socialisme dans des besognes et des plaisirs prévus et ordonnés une fois pour toutes, quelques idéogrammes suffiront pour dire toute la pensée humaine, qui sera brève; les besoins physiques, les désirs sexuels, bon, mauvais, pluie, soleil, froid ; chaud. J'estime qu'avec cinquante grognements gradués et autant de signes représentatifs un troupeau d'hommes socialisés exprimera parfaitement tout son génie.

 

lundi 12 avril 2021

Belle du Seigneur

 
Belle du Seigneur est une œuvre magistrale, une lente et profonde étude de mœurs, à la fois comédie et drame, avec tout un tas de variations sur le jeu social, l'amour, le désamour, l'apparence… C'est tour à tour hilarant et sombre, tragique et ridicule, poignant, beau... gigantesque. Je l'aie lue en quinze jours et je n'arrive toujours pas à y croire. Avant elle, je pensais même avoir définitivement perdu le goût de la lecture car, ces derniers temps, rares étaient les livres, même courts, que je parvenais à terminer. L'ennui me saisissait longtemps avant la fin. J'en étais même venue à me demander s'il était si important que cela de connaître la fin d'un livre. Avec celui-là, la fin devient une obsession majeure du lecteur qui se demande bien où de pareils sentiments vont conduire nos deux amoureux, la Belle et son Seigneur.
J'ai trouvé, sur internet, d'autres témoignages de personnes qui l'ont lue à toute allure aussi. Cette œuvre vous happe, vous fascine, vous transcende puis vous broie, mais vous en redemandez, et vous en ressortez pantelant. Ce n'est plus de la lecture, c'est une expérience mystique.

 

dimanche 11 avril 2021

"Les Jardins statuaires", Jacques Abeille, 2010

 
L'idée de départ du livre, celle d'une contrée où les statues poussent comme des plantes dans un monde de jardins clos, est tellement fantastique qu'elle suffirait presque à elle seule à faire un roman qui mérite le détour, mais elle est si bien exploitée, et le livre écrit avec tant de subtilité et d'art, que notre périple dans les jardins se mue en sorte de parcours initiatique, d'expérience philosophique. C'est mystérieux, captivant, totalement inédit. C'est l'histoire d'un monde arrêté, d'une civilisation sur son déclin. C'est une œuvre totalement inclassable, superbe, et dont l'univers rappelle un peu celui de Julien Gracq.
Maintenant que notre monde est tellement connu, sillonné, uniformisé et formaté, la littérature reste le seul continent dont on puisse encore attendre des expériences et des sensations inédites. C'est du moins ce que j'ai pensé en découvrant cette œuvre magistrale.

 

jeudi 1 avril 2021

"La Tête coupable", Romain Gary, 1968

"Cohn, qui ne s'appelait pas Cohn et n'était pas américain, rêvait de rivaliser d'insouciance cynique avec ces aventuriers espagnols du siècle d'or que l'on appelait picaros… […] C'était de joyeux profiteurs, sans foi ni scrupules, parasites du pouvoir sous toutes ses formes : rois, seigneurs, Église, bourgeois, gendarmes, armée. Cohn rêvait de les égaler, de retrouver cette veine vivifiante et saine d'insouciance et de rire moqueur. Malheureusement, malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à l'authenticité et se sentait un imposteur : il reconnaissait au fond de ses fourberies et de son tumulte intérieur un insupportable bêlement idéaliste. C'était bien la peine de fuir à Tahiti : il portait le poids du monde sur ses épaules partout où il allait et le poids était écrasant. "
Qui est l'individu qui se cache sous le nom d'emprunt de Gengis Cohn et mène une vie de débauche à Tahiti ? Et quel passé honteux tente-t-il d'oublier dans l'alcool et les bras de sa vahiné ?
 
Cynique, impertinent, politiquement incorrect, truffé de remarques inoubliables, et hilarant de bout en bout, La Tête coupable est une des œuvres les plus lucides et brillantes jamais écrites sur ce ramassis de faux-semblants, d'hypocrisies et d'aberrations qu'on appelle pompeusement la "civilisation".