Rien n'est plus amusant et édifiant, quand on entre dans une maison pour
la première fois, que de découvrir la bibliothèque. Une rangée de
livres sur une étagère en dit plus sur l'occupant des lieux, sa
personnalité et ses goûts, qu'une série de tests psychologiques.
Quand, durant mes études de portugais, je lisais les œuvres de Fernando
Pessoa, j'étais loin d'imaginer qu'un jour je pourrais jeter ce même
coup d'œil sur sa bibliothèque et lire une partie des livres qu'elle
contient. J'étais encore plus loin de concevoir l'idée qu'un jour il me
serait possible de le faire sans sortir de chez moi. Pourtant, c'est
chose possible car la Casa Pessoa a mis en ligne la bibliothèque personnelle de l'auteur, du moins tous les ouvrages libres de droits.
J'ai passé quelques heures à la parcourir avec passion, imaginant que
j'allais peut-être trouver la source du mystère Pessoa et du génie
multiple de l'auteur du grandiose Mensagem, du Livro do Desassossego, et des recherches sur la vérité occulte…
Outre des ouvrages en portugais, la bibliothèque de Pessoa contient de
nombreux volumes en anglais et en français. Pour qui connaît l'œuvre
de Pessoa, cette bibliothèque n'est pas véritablement une surprise. Elle
est très cohérente avec ce que l'on sait de lui. Poésies victoriennes,
œuvres de William Blake, magie…
En ouvrant les livres on constate que Pessoa soulignait les passages qui l'intéressaient, mais n'annotait pas.
Dans un texte des années 1910, il écrivait :
J'ai dépassé le stade de la lecture. Je ne lis plus rien, excepté des journaux à l'occasion, de la littérature légère et des livres pratiques relatifs aux matières que j'étudie et pour lesquelles le simple raisonnement est insuffisant.
J'ai pratiquement laissé tomber la littérature en tant que tel. Je pourrais en lire pour apprendre ou par plaisir. Mais je n'ai plus rien à apprendre, et le plaisir que l'on tire d'un livre est d'un genre qui peut être facilement remplacé par celui, immédiat, du contact avec la nature et de l'observation de la vie .
Il ajoutait :
Tous mes livres sont des livres de référence. Je lis Shakespeare seulement en relation avec "le problème Shakespeare" : le reste je le sais déjà.
J'ai découvert que la lecture est une forme de rêve qui assujettit. Si je dois rêver, pourquoi pas mes propres rêves ?