"Vivre selon son vœu et mourir de son rêve,
formule véridique du terrestre bonheur."
Jolie formule, tirée de la pièce Sémiramis du Sâr Péladan.
Sémiramis est une grandes héroïne tragique comme les aimaient les
symbolistes. Vierge mâle et conquérante, adulée par ses armées, qui, à
l'orée de la vieillesse, abdique de sa gloire et de son pouvoir pour
l'amour d'un jeune prisonnier égyptien.
Le texte est truffé de tirades pleines de panache. J'ai particulièrement aimé
celle-ci, que je trouve grandiose dans la bouche d'une héroïne :
"Je suis du sexe des héros, des demi-dieux, des fondateurs d'empire,
je suis du sexe de l'épée !
Là, où naissent les rois, mon génie m'a monté.
Je ne dois rien au sort ; ma gloire je l'ai faite !
Mon sexe, c'est ma volonté."
La fin est plus classique puisque la guerrière renonce à l'épée, au
pouvoir, à la gloire, trahit ses peuples et se trahit elle-même.
Jolie déclaration aussi que celle où elle revient sur les valeurs qu'elle défendait et représentait avant de connaître l'amour :
"C'est une vanité de vivre dans l'éclat
d'incarner les passions misérables d'un peuple,
et d'épuiser sa vie pour des couronnes de métal :
l'homme sage porte son univers en lui,
amant ou visionnaire; et ne s'inquiète
pas du sentiment d'autrui, car il s'est reconquis d'abord
sur la tyrannie des idées usuelles. Keth-Aour,
ta pure haleine, en passant sur ma chair, l'avive
comme s'éveille la terre froide au souffle de Tammuz."
C'est très beau, parcouru d'un grand souffle épique. On a tort d'avoir
oublié Péladan, dont il faudrait redécouvrir les œuvres, notamment pour
sa quête idéaliste et mystique. Cela nous ferait beaucoup de bien;
l'idéalisme et l'aspiration au grand et au beau, c'est ce qui manque à
notre civilisation vaincue par son matérialisme outrancier et étouffée
par son cynisme jouisseur.
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Photographie : détail d'une représentation de Sémiramis donnée aux arènes de Nîmes en 1904. Dans le rôle titre, Madame Segond-Weber de la Comédie Française.